Est-ce que tu peux me parler de ton expérience dans les prisons mexicaines ?

Je développais des programmes sociaux pour la mairie de la Ville de Mexico et j’ai eu la chance de rencontrer un artiste tatoueur qui voulait travailler avec les prisons, en effet le tatouage est vecteur de contamination via le sang et pose des graves problèmes de sécurité. Plutôt que d’ignorer le problème, nous avons décidé d’apporter des solutions en se basant sur ce que d’autres pays faisaient, comme par exemple le Canada et son tatouage sécuritaire. Dès les premiers ateliers dans un centre de traitement pour mineurs à Mexico, une connivence s’est créée entre les artistes et les détenus qui ne s’est jamais démentie et nous nous sommes rendus compte que nous étions au bon endroit au bon moment.

Tu fais partie de La Rutile, quels sont les objectifs de l’association ? Dans quel cadre intervient-elle ?

Lorsque je suis revenu en France, j’ai contacté La Rutile pour monter de nouveaux ateliers avec de nouveaux partenaires tels que Hey!, le musée du quai Branly – Jacques Chirac ainsi que de nouveaux artistes tatoueurs. L’association La Rutile est spécialisée dans le partage des connaissances artistiques et la création de lien social. Nous adhérons totalement aux mêmes valeurs tel que le vivre ensemble et le partage de savoir-faire. Je suis aujourd’hui le président de cette association.

Comment le projet tatouage au centre de détention Sud-Francilien s’est-il monté en collaboration avec le Quai Branly ?

L’artiste tatoueur Dr. Lakra initiateur du projet était exposé au musée du quai Branly lors de l’exposition “Tatoueurs, Tatoués” réalisée sous le commissariat d’exposition de Anne et Julien de la revue Hey!. Dans le cadre de l’opération “hors les murs” à destination des publics empêchés, le musée voulait réaliser une action au Centre Pénitentiaire Sud Francilien. La revue Hey! nous a mis en contact et nous avons pu faire venir du Mexique, le Dr. Lakra ainsi que Sol Chicoacen Acatzin pour mener à bien des ateliers artistiques. En plus, de ces ateliers autour du tatouage, le musée donnait des conférences et des ateliers de lecture de texte en musique. Devant le fort intérêt des détenus nous avons prolongé les ateliers sur 3 ans et réalisé une publication finale avec les éditions Le Dernier Cri nommée Réau Tattoo Art. Aujourd’hui, nous travaillons sur une publication tatouage avec la maison centrale de Poissy qui verra bientôt le jour.

Les personnes incarcérées ont-elles été réceptives à ce projet?

Le milieu carcéral est un des berceaux du tatouage, en effet lorsque l’on est incarcéré notre corps est une des dernières choses sur laquelle il nous reste un droit. C’est pour cela que le tatouage est aussi présent en prison. A la différence de beaucoup d’autres intervenants, les artistes tatoueurs impressionnent les détenus par leurs styles atypiques et montrent qu’un autre style de vie est possible. Nous pensons qu’il est nécessaire d’aller encore plus loin dans la sensibilisation autour des mesures sanitaires car le tatouage si populaire en prison est actuellement interdit et pousse à des pratiques extrêmes et dangereuses.

Y-a-t-il des anecdotes qui t’ont marquées et que tu souhaites nous raconter?

Au Mexique, un jeune homme de 15 ans avec une cicatrice de balle sur le torse et une dizaine de tatouages, incarcéré pour tentative de meurtre sur policier, suivait assidûment les ateliers pour devenir tatoueur à sa sortie. À la prison de San Fernando, les jeunes détenus se scarifient brutalement avec un CD brûlé et dans des conditions d’hygiènes douteuses pour montrer qu’ils sont passés par cette prison. À la maison centrale de Poissy, un détenu couvre ses automutilations par des tatouages plus ou moins réussis. En France, à la prison du Réau, un détenu incarcéré jusqu’en 2032 se tatoue dans sa cellule avec la main gauche et avec la main droite devant son miroir. Grâce à l’administration pénitentiaire, lui ainsi qu’un autre détenu, ont suivi une formation sanitaire pour tatouer officiellement “hors les murs”.