Art et Prison France met aujourd’hui à l’honneur la co-fondatrice de l’association. Lors de l’exposition organisée en novembre 2018 à la mairie du 3ème à Paris, Inga Lavolé-Khavkina a prononcé un émouvant discours pour présenter son film Un demi-mêtre carré de liberté. C’est ce discours que nous vous invitons vivement à découvrir !

Discours prononcé par Inga :

Pascal m’a posé une question très intéressante: qu’est-ce que cela m’a apporté de travailler sur ce film ? Je n’avais pas eu le temps d’y penser avant et n’ai pas pu répondre immédiatement. Cependant, cela m’a fait réfléchir à ces années de travail.

Quand j’ai rencontré Peter à Rome et passé quelques heures avec lui à la galerie, où, personne n’entrant, nous étions seuls, j’ai été très touchée par ces oeuvres incroyables et je me suis demandé comment permettre au public le plus large possible de voir cet art. Ces tableaux, qui m’apparaissaient comme un appel à l’aide, était clairement là pour initier un dialogue avec la société qui emprisonne les détenus. Ma décision de réaliser ce film, que j’ai tout de suite partagée avec Peter, m’a semblé comme une réponse à quelqu’un qui se noie, sans penser à ce que cela veut dire pour nous, on se jette à l’eau pour sauver cette personne.

C’est venu naturellement car j’ai un ressenti très particulier envers les prisons, ayant grandi en Union Soviétique où l’art qui ne correspondait pas à la propagande soviétique était considéré criminel. Pendant près de 70 ans, la plupart de nos artistes et intellectuels étaient emprisonnés ou forcés de quitter le pays. Cependant, je n’avais jamais vu de tableaux sortis des prisons, et à Rome, après avoir vu cette première exposition, j’ai été submergée d’émotions.

A cette époque, je faisais face à mes propres difficultés. Rencontrer Bruno à New-York et venir soudain en France sans parler un mot de français, m’avait enfermée dans ma propre prison linguistique, me plaçant dans le vide sans pouvoir communiquer. Progressivement, j’ai réalisé que nous avons tous nos propres prisons, et travailler sur ce film a été ma façon d’exprimer mes pensées, mes émotions, mes craintes et mes valeurs, que je partage maintenant avec le public, comme les détenus artistes le font.

Avant de quitter New-York, en plus d’étudier le cinéma, j’ai étudié la psychologie pendant 5 ans à IM School of Healing Arts, sur la base du travail du psychologue autrichien Wilhem Reich. Disciple de Sigmund Freund, après être venu aux Etats-Unis pour fuir l’Autriche nazie, il est mort en prison en 1957, emprisonné pour ses recherches révolutionnaires à l’époque. Maintenant, son travail est largement disponible en plusieurs  langues, y compris en France. En travaillant sur mon film, j’a pu d’une certaine façon continuer mes études psychologiques en me concentrant maintenant sur la thérapie par l’art. Comme mon diplôme n’était pas accepté en France et que je ne pouvais pas pratiquer ici, cela m’a permis d’explorer en profondeur plusieurs sujets essentiels comme la haine et le pardon sans lequel la reconciliation n’est pas possible. J’ai eu l’impression d’être utile en espérant que mon travail incite à des changements dans notre société qui est de plus en plus dure.

Je voudrais ce film à tous les artistes venant de pays où la liberté d’expression est réprimée et aussi rappeler que l’art devrait être accessible à tous.